ROLLING STONES - BEGGARS BANQUET : 1968 (Pressage US 1971)
Les Stones Réinventent Tout
En cette fin d’année 1967, les ROLLING STONES sont en perdition. Ils ne tournent pratiquement plus. Leurs derniers concerts ont été donnés en avril lors d’une tournée de 3 semaines au cours de laquelle ils jouent à l’Olympia. Ils sont dans la ligne de mire de la justice britannique qui n’a de cesse de les poursuivre dans le but de les détruire définitivement. Il faut dire que leurs excès en tous genres et leurs nombreuses provocations font des ROLLING STONES la principale cible qu’il faut abattre afin de préserver la jeunesse britannique.
Le point culminant de cette véritable chasse aux sorcières a lieu en février au domicile de Keith RICHARDS à REDLANDS, où la police britannique fait une descente et trouve RICHARDS, JAGGER et Marianne FAITHFULL ainsi que de nombreux amis en pleine « drogues partie ».
Marianne est nue sous une couverture, beaucoup de drogues sont saisie et le récit de cette soirée orgiaque fait aussitôt la une de tous les tabloïds anglais.
La justice britannique trouve là le moyen d’envoyer les STONES en prison et elle va s’acharner sur eux pendant toute l’année. En juin, RICHARDS est condamné à 1 an de prison ferme et JAGGER à 3 mois. Ils ne passeront pourtant qu’une seule journée en prison grâce au paiement d’une importante caution. Fin juillet, la cour d’appel de Londres annule les sentences les concernant. Le groupe en profite pour sortir ensuite l’excellent 45 tours WE LOVE YOU ainsi qu’un clip dévastateur envers la justice de leur pays.
Dans le même temps, Brian JONES n’est pas au mieux également. Il est arrêté à de nombreuses reprises pour détention de drogues et sa santé morale ne fait que de se détériorer.
A un moment où le groupe aurait besoin de lui afin de relancer leur carrière, Brian est totalement incapable de participer au processus créatif au sein du groupe qu’il a fondé 6 ans plus tôt. Son rôle sur BEGGARS BANQUET se limitera à quelques interventions à l’harmonica et au mellotron.
C’est pourtant lui qui est à l’origine des STONES en passant cette petite annonce à laquelle Ian STEWART répond en 1er.. C’est ensuite ce dernier qui contacte JAGGER et RICHARDS qu’il connaît grâce aux concerts donnés avec Alexis KORNER. Charly WATTS et enfin Bill WYMAN complétent la formation.
Mal en point, Brian JONES est hospitalisé en juillet 67 suite à une dépression nerveuse, sans doute due à sa séparation d’avec Anita PALLENBERG qui l’a quitté pour Keith RICHARDS, suite à un voyage des plus mouvementés en Espagne puis au Maroc cette même année 67.
Quel groupe, aussi soudé soit-il, peut-il résister à de tels événements ?
Pendant ce temps-là les BEATLES caracolent avec l’album SERGENT PEPPER. Jimi HENDRIX, grâce à son blues ravageur, invente le culte du Guitar Heroe et Londres nage en plein psychédélisme. Les STONES, alors au fond du trou, essaient de surfer sur cette vague et enregistrent un disque complètement raté THEIR SATANIC MAJESTIES REQUEST qui sort en novembre. Seuls 2 titres sortent du lot, SHE’S A RAINBOW et 2000 LIGHT YEARS FROM HOME. La mélodie de IN ANOTHER LAND est également agréable à écouter, mais le reste est catastrophique. On sent un groupe qui a tenté contre nature de réaliser un disque de musique psychédélique alors que fin 1967, le mouvement est alors déjà en net recul. Les STONES avaient tout faux ! Ils arrivent en retard et en plus avec un mauvais disque !
Deux éléments majeurs vont pourtant remettre les STONES sur les rails du succès. Ils font tout d’abord la connaissance de Jimmy MILLER, producteur américain qui a travaillé avec le SPENCER DAVIS GROUP et TRAFFIC. C’est Jimmy MILLER qui va hisser les STONES à un niveau supérieur. Ancien batteur, il s’entend tout de suite à merveille avec le couple JAGGER/RICHARDS.
L’autre fait important de cette renaissance est l’innovation du son que RICHARD impose au groupe. Keith RICHARD n’arrivait plus à progresser à la guitare, mais sa créativité retrouvée et son sens de l’expérimentation vers des contrées encore inexplorées vont aboutir à une petite révolution qui sera à l’origine de l’apogée des STONES. Depuis pas mal de temps, Keith enregistre sur un petit magnétophone à cassette PHILIPPS des improvisations sur une guitare acoustique. Il s’aperçoit alors que s’il sature le micro d’entrée, la guitare sonne alors comme une guitare électrique au son totalement distordu et l’effet est alors un son plein, chaleureux et des tonalités jusque là jamais entendues, très proche de ce que faisaient les Bluesman de CHICAGO. Mais Keith va encore plus loin. Il enregistre plusieurs guitares séparément et les superposent ensuite sur une même bande. Le résultat est époustouflant et va aboutir au 45 tours JUMPING JACK FLASH d’abord, puis à BEGGERS BANQUET ensuite.
Cette nouvelle technique est expérimentée à partir de mars 68 aux studios OLYMPIC à Londres sous la direction de Jimmy MILLER, alors qu’à Paris la révolution de Mai 68 se profile déjà. Keith RICHARDS branche alors son magnéto PHILIPPS sur un petit baffle et pose devant un micro puis enregistre le résultat. Le son devient démoniaque et définitivement novateur. Contrairement aux apparences, il n’y a aucune guitare électrique sur BEGGARS BANQUET. Tout est joué sur des guitares acoustiques. L’autre trouvaille de RICHARDS est sa façon à présent d’accorder ses guitares en open tuning qui offre ce son si caractéristique et inédit. JAGGER est aux anges et en pleine inspiration. Les titres défilent et les STONES reviennent aux racines du Blues de Chicago et du folk avec une touche de country.
C’est là qu’on reconnaît le talent de ce groupe incomparable. Ils ont développé des idées nouvelles et ils savent que ça va engendrer quelque chose de révolutionnaire et que leurs fans vont les suivre. Ils ont découvert un filon qu’ils vont exploiter à fond et ils sont sûrs d’eux.
JUMPING JACK FLASH est la concrétisation de ce son nouveau. C’est une véritable déflagration pour l’époque. Le 45 tours sort en juin 68. C’est un raz de marée. Le riff de Keith RICHARDS est un de ses préférés. Dans la même lignée, STREET FIGHTING MAN est encore plus violent. Personne n’a jamais réussi à égaler la sauvagerie de ce titre, même les STOOGES avec SEARCH AND DESTROY ne peuvent rivaliser. Le chant de JAGGER est colossal et le son forme un véritable mur de décibels totalement destructeur.
STREET FIGHTING MAN sort en août. En l’espace de deux 45 tours, les ROLLING STONES sont revenus au sommet de la scène rock avec des perspectives d’avenir sans limite.
Pendant les sessions aux studios OLYMPIC, le groupe enregistre des petites merveilles de spontanéité et de simplicité, mais d’une efficacité redoutable. NO EXPECTATIONS, DEAR DOCTOR, PRODIGAL SON et le très beau FACTORY GIRL sont des titres plutôt folk tendance country. PARACHUTE WOMAN et STRAY CAT BLUES sont les preuves du retour aux racines du blues de Chicago opéré par le groupe, à la différence que le son proposé ici est totalement novateur. La fin de STRAY CAT BLUES est dantesque avec ce riff de guitare qui se répète jusqu’à l’extinction des feux, annoncé par une rupture du rythme grâce à quelques lignes de basses girondes de Bill WYMAN et le beat métronomique de Charly WATTS. SALT OF THE EARTH, une sorte de Gospel symphonique, dont le début est chanté par RICHARD est également magnifique et clôt cet album exceptionnel.
Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Etant donné que JUMPING JACK FLASH n’a pas été inclus sur l’album, les STONES vont placer en début de disque un titre totalement hors norme, sans doute le tout meilleur de leur carrière. SYMPATHY FOR THE DEVIL dénote complètement du reste de l’album. Commencé sur un rythme de samba avec une multitude de percussionnistes, le morceau s’embarque ensuite dans une suite épique sur laquelle le groupe atteint des sommets merveilleusement rythmé par le piano infernal de Nicky HOPKINS, invité vedette de l’album. Keith RICHARDS en profite pour placer un de ses meilleurs solos de guitare et JAGGER chante comme jamais. Il dira plus tard que pour écrire ce texte, il s’est inspiré de BEAUDELAIRE et de son poème LES LITANIES DE SATAN tiré des FLEURS DU MAL. Le résultat est époustouflant.
BEGGARS BANQUET doit sortir en septembre, mais la maison de disques DECCA refuse le projet de pochette proposé par le groupe, qui représente un WC public immonde avec des graffitis sur le mur. Cela retarde de 3 mois sa sortie. BEGGARS BANQUET sort finalement en décembre avec une pochette blanche sous forme d’un faire part d’invitation au banquet des mendiants, représenté dans la pochette intérieure par une photo des Stones en train de festoyer tels une bande de soudard du moyen âge.
Cet album a une place capitale dans l’histoire du rock. Il marque le début d’une nouvelle ère.
Il met un terme à la Pop Music qui avait envahi les ondes radios ces 2 dernières années et laisse entrevoir ce que seront les seventies.
Plus rien ne sera pareil ensuite. Avec BEGGARS, les STONES ont réussi à se démarquer définitivement des BEATLES. Ils vont ensuite enchaîner 4 autres disques majeurs, dont un live fabuleux, tous d’une qualité exceptionnelle, et toujours avec Jimmy MILLER à la production, mais avec un nouveau guitariste virtuose, Mick TAYLOR.