JETHRO TULL - MINSTREL IN THE GALLERY : 1975 (Original Canada 1975)
Lorsque Ian Anderson atteint le sublime
Lorsque JETHRO TULL sort MINSTREL IN THE GALLERY en 75, le groupe reste sur 2 disques très décevants, A PASSION PLAY et WAR CHILD, à tel point que les critiques de l’époque pensent alors que les meilleures années sont déjà derrière eux.
Il est vrai que le TULL a entamé la décennie avec 2 albums magistraux, BENEFIT et AQUALUNG qui ont eu un immense succès dans le monde entier.
JETHRO TULL est avant tout l’oeuvre d’un seul homme, IAN ANDERSON qui fonde ce groupe en 1966 avec des potes de lycée, le pianiste John EVAN qui joue initialement de la batterie et le bassiste Jeffrey HAMMOND-HAMMOND. Le groupe s’appelle initialement THE BLADES puis THE JOHN EVAN BAND. Mick ABRAHAMS, de dix ans leur ainé les rejoint ensuite à la guitare. C'est un guitariste talentueux au jeu très fin, mais qui hélas, refuse de prendre l'avion. Après le départ de John EVAN en 1968, Ian ANDERSON, seul maître à bord, décide d’appeler le groupe JETHRO TULL, d’après le nom d’un célèbre agriculteur anglais du 18ème siècle.
En 69, après le départ inéluctable d'ABRAHAMS, Ian ANDERSON s’entoure alors d’un musicien remarquable, le guitariste Martin BARRE, qui lui restera fidèle tout au long des différentes formations de JETHRO TULL. Pourtant, c'est Tony IOMMI (Futur BLACK SABBATH) qui avait obtenu le poste. On le voit d'ailleurs officier avec le groupe dans le film des STONES, ROCK'N ROLL CIRCUS en 68. Mais Martin BARRE relance ANDERSON et insiste de telle façon qu'ANDERSON le choisit finalement comme guitariste. BARRE s'avérera comme un élément indispensable et donnera au groupe ce son si particulier, véritable marque de fabrique, alternant les parties de guitare les plus douces aux riffs les plus dévastateurs.
Le groupe est en effet capable de commencer un morceau à la façon des comptines médiévales, avant d’enchaîner dans un hard rock le plus furieux, sans jamais franchir les barrières du rock progressif.
John EVAN réintègre le groupe en 1970 au moment de l'enregistrement de l'excellent BENEFIT sur lequel Martin BARRE est carrément prodigieux.
Mais revenons maintenant à ce MINSTREL IN THE GALLERY qui, à mon sens, est ce que JETHRO TULL a enregistré de mieux et qui constitue une des pièces maîtresses du rock des années 70.
Pourquoi MINSTREL est encore supérieur à AQUALUNG ?
Parce que d'une part, le groupe a atteint en 1975 un niveau de jeu exceptionnel grâce à une complicité et un travail de tous les instants. Parce que d'autre part, Ian ANDERSON se trouve alors dans une période de créativité rare au niveau compositions, aboutissant sur des mélodies magnifiques et des morceaux à la structure complexe alternant les parties douces et les parties brutales de la plus brillante des manières. Son jeu à la guitare acoustique est ici d'une fluidité telle qu'il illumine tout le disque. Il est à noter que la guitare acoustique prend le pas sur la flûte sur cet album. Le dernier élément essentiel de la réussite de MINSTREL est la mission accomplie par David PALMER dans le travail symphonique qui est ici exemplaire, du niveau peut-être de ce qu'a pu faire PROCOL HARUM sur le fameux GRAND HOTEL. Le niveau atteint ici dans l'orchestration des cordes et leur intégration dans la musique du TULL est exemplaire.
JETHRO TULL a décidé d'enregistrer le disque en France à Monte-Carlo avec leur fameux studio mobile MAISON ROUGE. Pendant 2 mois, le groupe habite les plus beaux hôtels et jouit de la vie privilégiée de la Côte d’Azur. Ils enregistrent dans une grande salle appartenant à la station de radio locale RMC. La photo figurant au verso de la pochette est prise depuis cette salle.
Le morceau titre est hallucinant de classe et d'un niveau égal à celui d'AQUALUNG. Tout y passe. Mais on remarque surtout le fabuleux travail de Martin BARRE à la guitare qui irradie les huit minutes que dure le morceau. Ca reste un de leurs meilleurs titres. La mélodie est splendide et le break entre l’intro acoustique et l’entrée en matière de BARRE à l’électrique est des plus jouissive. C'est un morceau en 3 parties : l'intro acoustique d'abord, magnifiquement interprétée par ANDERSON, le break de BARRE ensuite avec des dérapages électriques brillants puis enfin la longue partie finale, dominée par un hard rock brutal, telle que le groupe la joue sur scène.
Bizarrement, ils ne joueront jamais le morceau en entier en concert, la partie acoustique étant occultée. Cela reste un mystère.
Tout le disque est d’un niveau hors du commun. JETHRO TULL est sur un nuage. On sent au fil des morceaux que rien ne peut leur arriver, même sur un titre aussi ambitieux que BAKER STREET MUSE qui occupe à lui seul 16 minutes de la face 2. La chanson est construite autour d’un collage de plusieurs morceaux, alternant les parties acoustiques les plus délicates aux parties rock les plus primales, le tout agrémenté de mélodies magnifiques. A l'écoute de ce très long morceau, il n'y a aucune sensation d'ennui, aucun temps mort. Les mélodies, toutes aussi splendides les unes que les autres s'enchainent sans jamais lasser. C'est du très haut niveau. C'est la grande différence avec THICK AS A BRICK qui ne tient la route que dix minutes tout au plus. Le reste, surtout la face deux, est d'un mortel ennui. Mais ici, rien de tout ça. Tout passe comme une lettre à la poste. L'inspiration toujours !
A l'écoute du jeu de Martin BARRE, je me suis souvent dit qu'il aurait pu être un remplaçant idéal à Jimmy PAGE au sein de LED ZEPPELIN, si le besoin s’en était fait sentir. C’est le même genre de guitariste imprévisible qui joue tout en riff et tout en dérapage, avec une technique et une rapidité incroyables autour d'un feeling omniprésent.
Sur la face 1, c’est COLD WIND TO WALHALA qui succède à MINSTREL, et c’est tout aussi efficace. Ce titre nous rappelle un peu CROSS EYED MARY sur AQUALUNG. L'enchainement paraît identique avec la même réussite.
Puis vient ensuite le long BLACK SATIN DANCER construit sur les mêmes bases, avec une partie lente et acoustique faisant place ensuite à la fureur électrique de Martin BARRE.
Le morceau qui ouvre la 2ème face, ONE WHITE DUCK ON YOUR WALL, est réellement splendide, un petit joyau rappelant le délicieux SKATING ON THN ICE sur l’album précédent, totalement raté d'ailleurs, WAR CHILD. Après BAKER STREET MUSE, l’album se termine dans la douceur avec GRACE interprété par le seul Ian ANDERSON qui au final, réussit l'exploit de maintenir un niveau exceptionnel sur les 45 minutes que durent le disque. C'est assez rare pour le souligner.
L’album sort en septembre 75 et obtient un immense succès, surtout aux USA où la côte de popularité du groupe est au plus haut et le place avec les STONES et LED ZEPPELIN comme un des groupes rock les populaires du moment. La pochette de l'album a ce côté particulier d'avoir le verso dans le sens opposé du verso, ce qui donne l'impression d'une erreur d'impression alors que c'était une volonté du groupe qu'il en soit ainsi. Les éditions originales ont cette pochette, mais sur certaines rééditions, le verso a été remis à l'endroit.
Bizarrement, Jeffrey HAMMOND-HAMMOND quitte le groupe peu après l’enregistrement et retourne à ces premières amours, la peinture. Il ne rejouera jamais de basse. C’est John GLASCOCK qui prend sa place.
Les concerts de JETHRO TULL sont mémorables. Un de leurs plus fidèles admirateurs, Claude NOBS, le maître du festival de jazz de Montreux, les a beaucoup aidés au début de leur carrière. C’est lui qui fait la présentation du groupe au début de BURSTING OUT, leur magnifique album live sorti en 1978.
On retrouvera encore JETHRO TULL au sommet de son art sur deux albums quintessentiels : SONGS FROM THE WOOD en 1977 et HEAVY HORSES en 1978. Puis hélas, comme avec tous, l'inspiration s'en est allée. Il y eut toutefois un sursaut d'orgueil en 1982 avec l'excellent THE BROADSWORD AND THE BEAST, une sorte d'AQUALUNG des années 80 avec l'apparition de synthétiseurs et Martin BARRE comme seul survivant de la formation mythique.
Mais cinq chefs-d'oeuvre pour un groupe, le tout étalé sur huit ans, tout le monde ne peut pas en dire autant.

